Patrick Lowie. L’onirisme comme un des Beaux-Arts





Plaçant l’écriture à hauteur du rêve, élisant le royaume onirique en voie royale des mondes alternatifs, Patrick Lowie use du verbe comme d’un chaman. Dans la lignée du surréalisme, sa pratique hallucinée et méthodique des rêves produit cent onze portraits oniriques tracés à partir d’un songe que lui confient les personnes connues ou non qu’il sollicite. Patrick Lowie bâtit une œuvre aux confins des univers qui bifurquent de Borges et d’une expérience des vertiges, des dédoublements. Les polarités du réel et de la fiction, des états conscients et des brumes d’Hypnos perdent leur contour, sont sujettes à des renversements au terme desquels le fictif s’avère porteur d’un sur-réel tandis que la réalité se dissipe en brumes. Au travers des évocations de David Giannoni, Dolorès Oscari, Christo Datso, Isabelle Wéry et de cent sept autres, l’auteur nous délivre des clés d’intelligibilité, découvre des portes secrètes qui, par l’aiguillon d’un imaginaire en roue libre, approchent des zones insoupçonnées que recèle chaque être. Grand sorcier en quête de correspondances, voyageant dans le passé et les réalités parallèles, Patrick Lowie convoque morts et vivants sur une même scène où les lois communes n’ont plus cours.

Les récits oniriques qu’il a recueillis de cent onze personnalités sont autant d’indices, de dépôts qu’il convertit en passages initiatiques. Par le détour de l’imagination et des synesthésies, par des épreuves de désaxage spatio-temporel, il capte des scènes nucléaires, des miroirs qui réverbèrent des facettes inattendues des cent onze personnalités. Un poète traverse les murs de la langue comme il circule dans le ventre des siècles. Virtuose de la mise en abyme, Patrick Lowie inscrit ces portraits dans sa chronique du territoire de Mapuetos. « Une ville qui n’existe pas dans un pays qui n’existe pas » : la définition de Mapuetos, ce lieu mystérieux découvert par un poète dénommé Marceau Ivréa, doté d’un volcan « cracheur de mots », se translate à l’aède Lowie, scribe ramenant de l’ailleurs des éclats de voix qui creusent une ligne ésotérique sous le niveau exotérique des faits. L’auteur tire un portrait comme on tire les cartes au tarot ; il déboîte l’agencement du réel en lisant entre les plis de l’invisible, en déchiffrant à l’arrière des êtres le théâtre de leurs pulsions, de leurs tribus d’esprits.

Pas d’analyse psychologique mais une écriture qui est cérémonie et transe, pas de descente dans le petit tas de secrets de chaque moi, pas de littérature œdipienne mais une errance dans la langue des grands rêveurs, des buveurs d’absolu. Lire l’autre, c’est aussi se lire soi au travers de l’altérité. L’autre logique, la fécondation de la raison par l’ésotérisme et le nonsense donnent à percevoir des dimensions occultées par l’empire du bon sens. Dans le portrait de Brigitte Nsie, l’auteur cite René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ». En lui confiant des bribes de rêve et même en refusant de les lui livrer (le geste de soustraction libère ce qu’il tait, divulgue un symptôme, une langue), nous ne sommes plus sans savoir désormais que Patrick Lowie sait de nous des choses que nous ignorons de nous-mêmes. Si le chaman est l’ « anomal » (Deleuze) qui, descendant en l’autre, fait l’expérience d’un devenir qui le métamorphose, nul doute que Patrick Lowie soit une créature chamanique.

Véronique Bergen