Yasmine Hatimi

J'arrive dans un endroit hors du commun, salubre presque
paradisiaque, d'un paradis retrouvé. Sensation violente
qu'une bataille vient de s'achever derrière moi, je ne me
retourne pas, la douleur dans le dos. Ça devait bien
finir par éclater, me dis-je. Je suis là, tout seul,
face à un paysage d'arbustes. J'ai laissé de l'eau sur le
feu. C'est ce que le rêve me fait croire. Je monte les
marches d'une courte échelle pour mieux voir le spectacle.
Dans quelques instants, des millions d'arbres vont fleurir
en même temps, tous des jasmins d'Arabie aux feuilles
blanches bien sûr, voilà, le soleil se laisse couvrir par
des nuages aux contours fluos, contours flous, ce qui rend
le décor absolument magique, et le champ magnétique fleurit.
Je m'approche d'une jeune
femme qui récolte les fleurs et qui les mange. Elle me
dit : je vais vous faire goûter et je vais
également vous faire du thé, Patrick Lowie. Les arbres
commencent à neiger, elle m'invite à m'asseoir à l'ombre, le
soleil devenu vert refait surface. J'ai la tête pleine de
morceaux d'ouates cardées, les cheveux blanchis, vieillis
aussi par le temps qui reste. Je ne dis rien. Je ne veux
plus rien dire. Les mots s'encombrent dans mon esprit
rétréci, je les oublie, les lettres s'alternent comme des
jeux de mots pas drôles versés dans un breuvage amer, je
préfère me taire. Asseyez-vous, je vous en prie. Je
sors une carte de mon tarot, c'est le tigre, je lui montre
le tigre puis, comme par enchantement, le tigre sort de la
carte, il apparaît dans cette réalité onirique délirante,
noyé lui aussi sous les pétales de fleurs de jasmin, jeté
dans l'aventure. L'animal, dont la fourrure orange foncée
rayée de noir est d'une immense beauté, prononce quelques
mots : je suis la force, la puissance et l'énergie.
Je suis en vous Yasmine, mais il reste encore trop de
choses à régler. Des histoires d'amour, des conflits
internes et externes, des fleurs à manger. Le regard
du tigre me surprend, il a le même que celui de la jeune
femme. Il se libère de nos énergies et je l'observe
s'éloigner à pas de velours. Elle me sert du thé avec une
certaine désinvolture comme si nous étions dans un schéma
normal, réel, comme si le tigre faisait partie d'une vie. Je
parle finalement : Yasmine Hatimi, ce sont vos
valises ? Vous partez ? Elle me répond sans
attendre : Oui, je pars dans quelques minutes, je
prends un avion, je quitte le pays, ... Cette nouvelle
m'étonna un peu, car je ne voyais pas comment elle allait
partir d'ici, j'avais remarqué en arrivant qu'il n'y avait
aucune issue, que cet endroit était un piège : une île
de jasmins dans un monde d'épines. La jeune femme arbore
pourtant un large sourire. Elle me dit : je vais
vous montrer une autre partie de cette île. Venez, ce
n'est pas très loin, je rattraperai mon retard. Je me
lève, je la suis, après quelques minutes nous arrivons à une
forme de clairière, il n'y a que des champs avec différentes
types de fleurs. Elle se met à chanter, des hommes se lèvent
et apparaissent comme par enchantement un bouquet de fleurs
à la main.

The New Romantics
©
Yasmine Hatimi
Il y en a à l'infini, comme
si l'infini s'arrêtait ici. La scène est remarquable. Tout
est figé. Tel un cliché. Elle se retourne et me dit : voilà,
il faut que je parte maintenant, derrière la colline. Je
ne sais pas où mais cela n'a pas d'importance. Je
l'accompagne, me retourne une dernière fois pour imprimer en
moi cette scène idyllique. Elle accélère le pas, on arrive à
la table, se sert rapidement un verre d'eau, je l'aide à
porter ses valises, je n'avais pas vu la petite voiture dans
le garage de la maison. Elle démarre, en moins d'une heure
nous arrivons à l'aéroport. Je me demande si je n'aurais pas
dû rester dans ces champs. Avec toute cette poésie plus
besoin d'écrire des mots. Je me remets à penser dans le bon
ordre, en bonne conscience, la mienne, je parle aussi :
ce n'est peut-être qu'une intuition, mais je pense qu'il
est impossible de partir si on ne sait pas où on veut
aller, même dans les rêves. Et ces blocages sont souvent
liés à des blessures amoureuses. Je sais de quoi je parle.
Yasmine Hatimi fait semblant de ne pas m'écouter. Nous
arrivons au parking de l'aéroport, puis dans le hall, elle
se présente au comptoir d'embarquement, elle cherche son
passeport qu'elle ne trouve pas. Elle dit : ce
cauchemar à tendance à se répéter, quelle angoisse, je ne
trouve jamais mon passeport, .... dépitée elle ne
cherche plus. J'éprouve comme un soulagement, je me dis
qu'égoïstement, je vais pouvoir retourner quelques jours
dans ces champs maléfiques où la beauté devient addiction.
Les larmes de Yasmine sont des perles, je lui dis : je
vais vous tirer d'autres cartes du tarot, on va régler ce
problème récurrent. Essayons de donner un sens à cette
obsession onirique de vous empêcher de partir où bon vous
semble. Nous allons éliminer définitivement la laideur.
Nous avons abandonné le tigre là-bas, retrouvons-le, je
suis persuadé qu'il avait d'autres choses à nous dire.
J'ai peur de reprendre
connaissance,
je veux rester dans ce rêve,
je veux revoir les fleurs du bien.
Qui est Yasmine Hatimi ?
Née à Casablanca, Yasmine Hatimi y travaille en
tant que photographe. En 2004, elle quitte Casablanca
pour Madrid, afin de poursuivre ses études supérieures
en cinématographie, puis en photographie. Après y
avoir passé 9 ans, elle décide de revenir au Maroc, où
elle est installée depuis peu pour essayer de
redécouvrir son pays à travers son travail
photographique. Éternelle rêveuse, son travail se pose
entre mélancolie et poésie et cherche à transmettre
une atmosphère venant de son univers intérieur.
Un article pour découvrir son oeuvre :
https://www.diptykmag.com/work-in-progress-la-chasse-a-lhomme-de-yasmine-hatimi/