Binh Regibeau ouvre
soudainement ses yeux ronds. Étourdi, étonné, encore
surpris par ces portes entrouvertes sur des mondes
oniriques. Il sort d’un rêve farfelu à peine descriptible.
Il a des airs d’astronaute à l’entraînement avec ces
câbles blancs, noirs et colorés sortis de nulle part
patchés sur le corps, le visage, agrafés sur l’âme. Il ne
dit rien. M’observe avec soin, scrupuleusement. En
m’observant longuement, il prend l’esprit réfléchi et se
donne la faculté de s’observer soi-même. Dans la vraie
vie, Binh étudie la psychomotricité en Belgique et il
transmet le sentiment de merveilleux aux enfants. N’est-ce
pas merveilleux justement ?
Patrick Lowie, me
dit-il,
ouvrez cette porte, entrez, vous allez
découvrir un monde étrange. Je m’y précipite. La
porte en bois s’ouvre sur une forêt en plastique, des
frigos remplis de brocolis, je m’assieds aux pieds du
séquoia géant, l’impression d’être dans un studio de
cinéma, je vois des projecteurs, des écrans plasma, des
néons blancs et bleus qui font office d’éclairage
onirique, des costumes d’une autre époque. Une musique
electro-rock psychotique de David Lynch,
Crazy Clown
Time. Des sangliers et des cerfs empaillés clignent
des yeux. Mais cela ne dure pas cinq secondes, nous voici,
lui et moi, dans le parking souterrain d’une clinique, au
-3, peut-être plus bas, plus j’avance plus cela ressemble
à une grotte plus j’ai la sensation de faire de la
spéléologie. Pas de berline, pas de phares, pas de pneus
qui crissent dans les virages. Pas vraiment peur non plus.
On entend les gouttes d’eau. On entend le caoutchouc de
mes chaussures neuves. Les néons bleus et roses sont là.
Ça clignote un peu de partout. Des ombres de fantômes
apparaissent sur les murs tapissés. C’est sombre, lugubre,
des fissures dans les murs laissent passer de la lumière,
les ombres des feuilles d’un arbre. Ces ombres se
projettent sur son visage, tel un mascara. Il ouvre la
bouche, des libellules, trois Lydiennes, s’échappent de
son sourire mélancolique.
Retrancher le merveilleux de
la vie de l’enfant, c’est procéder contre les lois mêmes
de la nature écrivait Georges Sand. Il marche
devant moi, son allure désinvolte, son pas en apesanteur.
Il se retourne et me dit :
ça vous dirait, de
grimper avec moi ? Je cherche quelqu’un pour
grimper les falaises des îles Kalymnos. Je savais
que tout cela n’était qu’un rêve et je lui ai dit
Oui,
bien sûr. Parce qu’ici, tout est possible. On
retrouve le séquoia géant. On est assis et on voit arriver
des chasseurs qui s’exécutent avec une splendeur
triomphale, et grâce au cor, jouent un admirable hallali.
Le chasseur au cor s’approche :
Verdict !
Vingt-trois micro-réveils par heure. Binh me
dit :
Vous avez un don de précognition, n’est-ce
pas ? J’acquiesce.
Dites-moi ce qu’il va
m’arriver ? Je me transforme en miroir que
j’oriente en avant de son corps. Il s’observe, se voit
dans mille ans, voit ses amours, ses réussites, ses
voyages. Il ouvre ses yeux ronds, heureux de le voir se
réveiller je lui dis :
Je vous souhaite une belle
journée.